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Dramaturge de ville Gerardo Salinas sur la nouvelle urbanité

Nous vivons une époque très particulière, selon moi, la plus passionnante de l’histoire de l’humanité. Sous l’emprise des flux migratoires, de l’urbanisation croissante et des nouvelles technologies, le monde est devenu un village éclectique. Il y a quelques années encore, il était impensable qu’autant de cultures différentes puissent cohabiter sous le ciel d’une même ville tout en étant reliées en temps réel avec les pays d’origine. La technologie ne le permettait pas. Aujourd’hui, la migration est plus que jamais un réseau. Un réseau au potentiel illimité.

L’art et la culture peuvent remplir plusieurs fonctions dans une ville. Dans notre société en évolution rapide, je pense que les artistes peuvent être nos sondes Voyager, capables de détecter le futur dans le présent à la faveur de leur sensibilité unique et de nous aider de la sorte à forger l’avenir. Ils ont les outils pour le réaliser ; les artistes ne transcendent-ils pas le principe économique de communiquer de manière aussi univoque et limpide que possible pour produire un maximum de sens avec un minimum de mots ? Ils ont les moyens de suspendre le temps en se focalisant sur une situation ou un sentiment spécifique. Il ne leur faut même pas respecter les lois de la physique pour cela. Ils sont les oracles qui nous montrent qui nous étions, qui nous sommes et qui nous pourrions devenir.

Grâce à l’urbanisation, aux flux migratoires et aux nouvelles technologies, nous bénéficions d’un enrichissement extraordinaire de notre spectre artistique. 

Ainsi, on voit éclore de nouvelles pratiques artistiques qui expérimentent souvent de nouvelles formes et de nouveaux langages artistiques, entre autres, chez des personnes ayant été formées à l’art dans d’autres pays et chez des autodidactes. Tous prennent le pouls de la ville en mutation permanente. La plus grande part des talents artistiques à peine émergents n’est cependant pas en contact avec notre important secteur culturel, ce qui fait que les nouvelles pratiques demeurent souvent invisibles ou illisibles pour eux. De la même manière, le secteur artistique établi est une terre inconnue pour les artistes de domaines encore en friche jusque-là. Il n’est pas simple de mettre en lien les deux réalités artistiques. Elles ont pourtant beaucoup à apprendre et à recevoir l’une de l’autre.

Je qualifie l’ensemble de ces pratiques – bien et moins bien documentées – « d’art de la nouvelle urbanité ». Ces dernières années, j’ai imaginé une explication pour comprendre ce qui rend ce rapprochement si laborieux : si nos yeux peuvent enregistrer des couleurs, allant du blanc au noir et tout ce qu’il y a entre les deux, il y a toutefois certaines couleurs qu’ils ne peuvent pas percevoir, par exemple, l’ultraviolet. Le rouge mélangé à l’ultraviolet donne une couleur complètement différente, mais si nous ne percevons pas l’ultraviolet, le résultat que nous voyons est toujours uniquement du rouge. De la même manière, nous avons sur notre spectre artistique un trait que nous nommons « secteurs des arts » et que nous pouvons détecter et lire sans trop d’efforts. Cela ne signifie pas que ce trait soit un ensemble homogène, mais nous avons une idée des pratiques qui en font partie et que nous pouvons reconnaître et interpréter.

Parallèlement, nous avons de pratiques artistiques moins documentées qui se sont développées de manière organique à partir des nouveaux contextes urbains : des initiatives modestes qui fonctionnent – jusqu’à présent – comme les rameaux du système nerveux que sont nos sociétés. Armés de leurs antennes artistiques, ils se retrouvent dans l’épicentre des expressions et langages artistiques nouveaux. Autorités publiques ou institutions ne peuvent parfois pas les atteindre sans les changer prématurément. Il n’est tout simplement pas donné à un éléphant de caresser une fourmi.

Nous sommes fascinés par la beauté et la puissance qui émanent des nouvelles productions urbaines. Nous tentons de concevoir des lunettes qui permettent de voir et de lire l’ultraviolet. Pour pouvoir lire, interpréter ou apprendre quelque chose, il faut cependant le vivre. Aussi, nous vous invitons cordialement à MAPping Brussels, WIPCOOP et SLOW – des dispositifs artistiques qui nous aident à lire la ville et à dépister son potentiel artistique. À l’instar des anciens kabbalistes qui analysaient les textes mystiques, nous nous plongeons dans le texte sans frontières qu’est la ville. Il n’y a pas de meilleure aventure possible !