KVS

Une conversation avec Daina Ashbee

Daina Ashbee, désignée par la célèbre revue Dance Magazine comme l’un des talents internationaux à suivre, est depuis quelques années une artiste très appréciée du KVS. Après Pour et Laborious Song, elle présente sa nouvelle création J'ai pleuré avec les chiens en coproduction, entre autres, avec le Festival TransAmériques et le KVS. 

Vous décrivez votre œuvre comme sombre. Pourquoi vous concentrez-vous sur des choses comme la souffrance et la violence ?

« Au début de ma carrière, j’étais anxieuse et dépressive, mais j’ai réussi à transposer ça dans mon travail et j’ai trouvé un endroit pour exprimer ces sentiments. Dans ce sens, créer est devenu pour moi un processus de guérison. Dans mon école de danse d’improvisation, il se cache toujours un aspect cathartique et violent. Je n’en avais pas conscience ou je ne l’avais pas compris avant de m’arrêter de danser. En me mettant à la mise en scène, je me suis mise un peu à l’écart de cet univers et j’ai pu observer à distance ce que j’étais en train de faire. À partir de là, toutes mes pièces ont commencé à traiter de l’objectivation des femmes et des événements traumatisants.

Comment votre œuvre se forme-t-elle, par où commencez-vous?

« Je ne prévois jamais le résultat de mon processus de travail à l’avance. I just let the magic happen. Je laisse opérer la magie. L’aspect de recherche le plus important est de commencer en général par la méditation et l’écriture. C’est un processus inconscient par lequel je plonge dans mon corps et j’essaie de comprendre ce qui remonte de spirituel, de somatique et inconscient de mon bassin. Ensuite, je réunis ces sentiments comme un puzzle par un processus d’écriture et je crée une forme littérale. Par la création de la danse, cette forme redevient abstraite.

De nombreux mouvements sont basés sur l’équilibre du corps, sur la lutte pour surmonter les points faibles et le combat comme une sorte d’exercice physique. Le langage corporel peut ainsi évoluer, par exemple, vers un tambourinement et trépignement. Un tout autre langage corporel provient de la pratique de trouver des lieux instables, plus risqués, plus ‘pente glissante’. En essayant de se relever et de trouver la balance au sein de diverses positions, on peut devenir toujours plus fort. Ainsi, l’évolution qui consiste à gagner en force et à se transformer soi-même change de quelque chose de difficile en quelque chose de beaucoup plus facile. »

« Le corps est une manière de communiquer et de se maintenir connecté ou ‘à la terre’. Nous possédons tous un corps différent avec ses sentiments et ses sensations uniques, mais il nous empêche en même temps pas de nous rapporter entre nous en tant qu’êtres humains. »


La nudité occupe une place centrale dans votre œuvre. Quel est votre rapport avec le corps nu comme moyen de communication ?

« Je crois à la force de l’écoute du corps comme remède de guérison. La manière la plus simple de créer un endroit où l’on puisse s’écouter soi-même et se comprendre, est de remettre son corps à l’état naturel. C’est pourquoi je travaille avec la nudité. Le corps n’est, hélas ! pas un langage que beaucoup de gens ‘parlent’ ou utilisent comme moyen d’expression. C’est pourtant un bonheur de se sentir relié avec son corps et de comprendre comment il fonctionne.

Mais peu de gens ont les connaissances, la capacité et le luxe de passer du temps avec leur corps. Il demeure pourtant important, le corps est une manière de communiquer et de se maintenir connecté ou ‘à la terre’. Nous possédons tous un corps différent avec ses sentiments et ses sensations uniques, mais il nous empêche en même temps pas de nous rapporter entre nous en tant qu’êtres humains. »

J’ai pleuré avec les chiens sera votre premier spectacle de groupe. Quelle est votre ambition pour cette pièce ?

« Laborious Song a été mon premier solo pour homme. Avant ça, j’avais créé plusieurs duos et solos pour femme(s). Pour cette production-ci, il y aura cinq corps de femme de différents âges sur scène. Là, je vais travailler tant avec des femmes plus jeunes que nettement plus âgées que moi, alors que j’avais toujours travaillé jusqu’ici avec des gens qui avaient à peu près mon âge. Ici, il sera donc beaucoup question de la communauté (community) des femmes, aussi bien au niveau individuel que collectif.

Même si une histoire provient d’un vécu personnel, il n’y a jamais un début, milieu et fin individuels. C’est aussi le cas pour mon travail. Bien sûr, il y a le combat personnel auquel chacune de nous se voit confrontée et en mettant des gens ensemble, l’individu devient plus fort. Je conçois cette œuvre comme la fin d’une époque, une accumulation de toutes mes créations précédentes sur la souffrance. Je me lancerai moi-même le défi de demeurer fidèle à ces ténèbres intérieures personnelles et de transformer de nouveau la répétition et l’énergie en danse et temps.

« En mettant des gens ensemble, l’individu devient plus fort. »


Vous ne travaillez pas seulement avec des artistes féminines, c’est toute l’équipe qui est composée de femmes. Est-ce un choix délibéré et réfléchi ?

« En effet, aussi bien mes créateurs lumière et son que ma directrice de tournée sont des femmes. On pourrait dire que ce choix s’est fait consciemment et en même temps naturellement. Je cherchais à travailler dans un nouvel entourage et ces femmes ont croisé mon chemin. Je les ai senties importantes pour moi, mais j’avais aussi le besoin de travailler avec des gens avec lesquels j’avais simplement envie de passer du temps. J’espère que de traverser le processus de création nous donnera à toutes un sentiment de famille ou de communauté entre nous. » 

Le titre J’ai pleuré avec les chiens a un côté poétique, non ? À quoi fait-il référence ?

« Le titre est très proche de ce que je suis. D’abord, j’ai un lien profond avec des animaux et avec les chiens en particulier. C’est presque quelque chose de spirituel, de transcendant. Le titre m’est venu il y a trois ans lorsque je résidai chez une amie écrivaine au Québec. J’étais beaucoup en tournée à cette époque et je n’avais pas vraiment d’endroit où me poser, mais sa maison fut enfin un lieu où je pouvais rentrer ‘à la maison’. Un jour, je passai toute une journée en pleurant, dans sa maison, avec les chiens. Quand elle me demanda en rentrant ce que j’avais fait, je lui dis : ‘J’ai pleuré avec les chiens.’ Elle trouvait ça une belle expression et elle est restée à trotter dans ma tête. C’était un peu comme si c’était fait pour… »